... à condition d'utiliser ce mode de transport à bon escient, là où il peut apporter une véritable valeur ajoutée et un service à un coût soutenable pour la collectivité.
SLO ou comment viser à côté de la cible (... du moins la bonne !)
La libéralisation du transport routier de voyageurs en France en 2015 n'a absolument pas eu les effets annoncés dans l'évaluation de l'impact de la loi qui l'a autorisée. Les Services Librement Organisés n'ont nullement complété le maillage opéré par le réseau ferroviaire, ni développé des offres vers des territoires enclavés : seuls les grands axes routiers sont empruntés. Ces SLO opérés par Isilines, Flixbus et Ouibus ont en revanche révélé les faiblesses de l'offre ferroviaire de la SNCF, moins sur des questions de maillage (hormis quelques transversales abandonnées comme Nantes - Bordeaux) que de coût du voyage. Mais on n'a pas vu de nouvelles relations inexistantes en train, comme par exemple Rouen - Orléans, Orléans - Reims ou Clermont-Ferrand - Marseille. Les autocaristes n'ont pas pris ce risque. Et il est maintenant de notoriété publique que les opérateurs y laissent des plumes...
Réforme territoriale et LOM : les vraies opportunités en voie d'être gâchées ?
Le débat n'est donc pas celle de l'existence d'offres routières mais sur leur intégration dans une offre de transport complète, couvrant un maximum d'habitants grâce à une bonne articulation ds différents modes de transports ferroviaires et routiers. La Suisse est bien un modèle d'organisation de l'offre ferroviaire, mais aussi des dessertes routières avec les Cars Postaux.
Coire - 24 septembre 2010 - La dalle surplombant les voies de la gare commune aux CFF et aux Rhb accueille les Cars Postaux, avec ici une brochette de Lion's Regio alignés sur les postes de stationnement avant le départ. Simplicité d'accès, correspondances intégrées à l'horaire cadencé, identité reconnaissable au premier coup d'oeil... bref, la référence ! © transportrail
Dans le cas français, les services routiers relevaient jusqu'à la réforme territoriale de la compétence des Départements pour les services interurbains et des Régions pour les liaisons interdépartementales. Ils incombent désormais uniquement aux Régions, avec une transition qui se met en place en douceur et de façon contrastée selon les territoires. La Loi d'Orientation sur les Mobilités, qui devrait être débattue en début d'année 2019, prévoit une évolution intéressante : tout le territoire devra être couvert par une Autorité Organisatrice des Mobilités (nouvelle appellation des Autorités Organisatrices de Transport), visant d'abord les intercommunalités mais aussi, à défaut, les Régions.
La réorganisation des réseaux est un travail complexe et minutieux, car les autocars interurbains sont généralement d'abord organisés autour des besoins scolaires. Mais les limiter à ce seul rôle n'est assurément pas le moyen d'améliorer la desserte des territoires éloignés du réseau ferroviaire et de proposer une solution par transport collectif aux autres besoins de déplacement. Un sujet quelque peu dans l'actualité ces temps-ci...
Grignan - 10 août 2018 - Illustration de situations absurdes qu'il va falloir rapidement remettre à plat : sur la première photo, un autocar de l'ancienne ligne départementale Montélimar - Nyons, venant de desservir l'arrêt situé place Castellane ; sur la seconde, un autocar de la ligne TER sur le même parcours. Un trajet quasiment identique (la ligne 36 dessert deux villages supplémentaires), mais deux tarifications - très - différentes... et surtout deux offres faibles en volume (2 à 3 allers-retours par jour) et des horaires parfois très voisins, comme ici avec ces deux autocars circulant à moins d'une heure d'intervalle... après un creux de service de plus de 6 heures ! © transportrail
Compléter - Rabattre - Ecrêter : les trois missions fondamentales de l'autocar
L'autocar est une réponse adaptée, principalement dans 3 situations :
- compléter la couverture du territoire dans les interstices - parfois béants - inoccupés par le train ;
- organiser des rabattements pertinents vers les gares ;
- écrêter les pointes de trafic journalières et/ou hebdomadaires pour éviter le recours à une rame supplémentaire.
Annecy - Place de la gare - 13 août 2018 - Livrée unique, lignes numérotées : la base d'un service compréhensible par le public. Cependant, la consistance des offres est encore trop souvent faible et brouillonne, mélangeant grande proximité pour les flux scolaires et desserte fine du territoire. © transportrail
Les deux premières configurations sont les plus évidentes et il n'est guère besoin d'y revenir, si ce n'est pour plaider en faveur d'une offre organisée, lisible cadencée au moins aux 2 heures toute la semaine. En matière de coordination, il y a aussi des progrès à accomplir, sur les horaires et sur le fait même d'intégrer la gare dans le parcours de l'autocar lorsque celle-ci n'est pas le terminus.
Rennes - Place de la gare - 12 octobre 2018 - Bonne coordination entre les autocars de l'Ille et Vilaine, le réseau urbain rennais et le maillage ferroviaire. En son temps, la gare routière de Rennes avait étéérigé en modèle. © transportrail
Le dernier cas est en apparence surprenant : oui, c'est à l'heure de pointe qu'on peut avoir besoin d'autocars et non pas en heures creuses comme le veut la pensée dominante et une mauvaise lecture financière du sujet. On pensera d'abord aux lignes de desserte fine du territoire sur lesquelles l'engagement d'une rame supplémentaire pour couvrir le renfort d'offre matin et soir est généralement lourd de conséquences sur le coût de production du service. Recourir à l'autocar permet de modérer la dépense sans trop affecter le service et surtout en évitant à la seconde rame d'être mobilisée pour un aller le matin et un retour le soir, ce qui est économiquement désastreux.
Le dernier exemple peut être aisément illustré par le réseau Etudiants mis en place par la Région Rhône-Alpes voici près de 20 ans. Il s'agit de relations desservant directement le campus universitaire de Grenoble, circulant le vendredi et le dimanche. Ces autocars écrêtent les pointes de trafic générées par les étudiants sur des itinéraires impliquant parfois plusieurs correspondances. En 2019, le réseau routier Etudiants en Rhône-Alpes propose des relations au départ du campus grenobois vers Modane, Chamonix, Evian, Bourg Saint Maurice, Privas, Aubenas.
Aix en Provence - Avenue Pierre Brossolette - 7 août 2018 - L'autocar aussi en redoutable concurrent du train, surtout quand celui-ci est intrinsèquement dans une situation fragile : la ligne 50 du réseau de la Métropole Aix-Marseille, avec son service direct toutes les 5 minutes, apparaît aujourd'hui bien plus attractif que le train... © transportrail
Tarification : retour aux choses sérieuses ?
La reprise de la compétence des lignes interurbaines par les Régions doit aussi être l'occasion de remettre à plat les politiques tarifaires qui ont foisonné depuis des années dans les Départements, parfois dans l'intention clairement affichée de capter une partie de la clientèle ferroviaire, sur des axes parallèles. Le billet à 1 ou 2 € quelle que soit la distance parcourue n'est pas forcément le meilleur moyen de capter durablement de nouveaux voyageurs, qui ont surtout besoin d'offres combinant différents modes (le train et l'autocar d'abord, le train, le car et un réseau urbain ensuite), et qui ne sont pas nécessairement des abonnés compte tenu de besoins de déplacement occasionnels.
Une fois de plus, on en revient à la notion de communauté tarifaire multimodale, instrument central d'une nouvelle politique régionale des transports collectifs...