Congrès des Régions : l’Etat entre esquive et recentralisation non assumée
Troisième congrès des Régions pour Edouard Philippe en tant que Premier Ministre, et une fois de plus, on ne peut pas dire qu’il s’y est fait des amis. Après la démission de Philippe Richert en 2017 et l’union des Régions, des Départements et des Communes en 2018, que pouvait-il se passer cette année dans les allées du congrès de Régions de France à Bordeaux ?
Au final, peu de choses. La position de Matignon est la suivante : pas de nouvelle étape de décentralisation mais une nouvelle pratique de la décentralisation. L’effet oratoire ne passe pas face à des élus locaux qui constatent d’années en années un mouvement de recentralisation du pays. On notera encore une fois que les critiques les plus fortes viennent surtout de la famille politique de M. Philippe. Ce que reprochent les Régions, emmenant dans leur sillage les autres collectivités, c’est l’évolution des relations avec l’Etat sans cesse vers plus de verticalité. « Nous ne sommes pas les opérateurs de l’Etat » a répondu Hervé Morin, président de la Région Normandie et de l’association des Régions de France. La collectivité locale n’est pas une subdivision de l’Etat dans son principe, mais l’est devenue de fait par la dépendance sans cesse accrue, sinon totale, de celles –ci aux dotations de décentralisation par la réduction de leur autonomie fiscale.
Un parfait exemple : le financement du réseau ferroviaire
Pour les axes structurants, le Contrat de Performance affiche une dotation de l’Etat envers SNCF Réseau, mais s’appuie manifestement de plus en plus sur des emprunts de SNCF Réseau, profitant des faibles taux d’intérêt (mais pour combien de temps ?). Qui plus est, cette dotation est largement insuffisante pour couvrir ces lignes qui ne représentent pourtant que les deux tiers du réseau et ne lui permet pas d’envisager sereinement les indispensables modernisations qui lui procureront de nouvelles performances : c’est notamment le cas de la signalisation, incarnée par l’équipement en ERTMS niveau 2 à l’échéance de renouvellement des équipements existants.
Pour les lignes de desserte fine du territoire, l’Etat se défausse complètement sur les Régions, qui, dans la loi, ne sont pas la compétence ni les ressources appropriées. C’est au propriétaire de financer – en principe en intégralité– le renouvellement de son patrimoine. Aujourd’hui SNCF Réseau porte ce titre. Mais son actionnaire unique, l’Etat, ne le dote pas en conséquence. Au 1er janvier 2020, conséquence de la réforme ferroviaire de 2018 et de la reprise de 35 des 50 MM€ de dette, la propriété de l’infrastructure va retourner directement à l’Etat, comme avant 1997.
Or en parallèle, non seulement la participation de SNCF Réseau s’étiole sans cesse mais l’Etat est incapable d’honorer les engagements pris dans les CPER, outils dévoyés de leur mission initiale (le développement) pour financer d’abord le renouvellement.
De ce point de vue, les Régions attendaient que l’Etat sorte enfin du bois et présente les conclusions de la mission confiée au préfet François Philizot, mais manifestement, le Premier Ministre applique la maxime du Cardinal de Retz : « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ». Dans l’attente, les Régions ont toujours le couteau un peu trop près de la gorge : compte tenu de l’état de nombreuses lignes, il y a urgence à financer des travaux, qu’elles se retrouvent seules à porter. On appelle cela « prendre ses responsabilités »…
Cette situation relève d’abord d’un choix d’affectation des ressources de l’Etat plutôt que d’un seul manque de moyens. L’Etat est bien moins regardant à la dépense sur les réseaux routiers, bien moins scrupuleux sur l’évaluation des projets : si 15 km de renouvellement de voie sur une ligne estampillée UIC 7 à 9 doit faire l’objet d’une évaluation socio-économique (outil inadaptéà de la maintenance patrimoniale soit dit au passage), l’exige-t-il pour le renouvellement des infrastructures routières ?
Quelques exemples ? La mise à 2 x 2 voies de la RN88 entre Rodez et Séverac le Château (échangeur A75) et de la RN141 entre Angoulême et Limoges sont financées sans le moindre sourcillement alors que la réactivation des voies ferrées parallèles reste en attente d’arbitrages, avec une vision très défavorable de l’Etat. Et que dire des 175 M€ prévus sur la RD1075, soit près du double des moyens nécessaires à la pérennisation de la ligne Grenoble – Veynes ?
Les gouvernements passent. « Nouveau » ou « ancien » monde politique, la devise est la même : « pour le rail, on réfléchit ; pour la route, on élargit ! ». On serait tenté de la faire évoluer : « pour la route, on élargit : pour le rail, on réfléchit… et on ferme ! ».
Une politique de réchauffement climatique ?
Le « virage vert » du gouvernement ne fait guère illusion sur ses motivations, d’abord électoralistes. Sur le fond, les chiffres sont têtus : non seulement la France n’est pas dans la trajectoire de l’accord de Paris mais en plus, elle va rigoureusement à l’envers puisque les émissions de CO² sont toujours à la hausse malgré la COP21.
Un changement de cap radical est donc urgent, dans tous les domaines de l’action publique. Concernant le chemin de fer, maillon qui devrait être central dans la transition énergétique des transports, la posture de principe devrait être la suivante : si l’Etat est propriétaire du réseau ferroviaire, alors il doit être le financeur – très – majoritaire de sa gestion patrimoniale, même sur les lignes de desserte fine, d'autant que le système ferroviaire est, dans sa globalité, facteur d'économies d'émissions.
A l’inverse, si les Régions devaient continuer à en supporter les investissements, alors il serait logique de leur transférer la propriété des lignes concernées… ce qui suppose évidemment que l’Etat dote les Régions en conséquence, ou leur octroie les moyens légaux d’obtenir les ressources budgétaires suffisantes. Sinon, c’est simplement se dédouaner derrière les collectivités locales en cas de fermetures de lignes… Quel courage !
Il faudra aussi prendre en compte le fait que les péages perçus par SNCF Réseau ne couvrent pas les dépenses d’entretien réalisées sur ces lignes… et intégrer ce point dans la dotation versée par l’Etat.
Ces deux hypothèses amènent donc inéluctablement à une réorientation de la fiscalitéà l’aune des effets environnementaux. Ecotaxe, taxe carbone, réduction des avantages fiscaux et des subventions au transport aérien ou à l’achat de voitures, fussent-elles électriques, ne pourront plus être écartées. La fiscalité française et les arbitrages dans le budget de l'Etat devront être repensés à l'aune des effets environnementaux : il y aurait certainement déjà matière à redonner des capacités d’investissement en réduisant plus drastiquement encore les investissements de développement sur le réseau routier (en préservant l'entretien, qui est indispensable). Difficile d’imaginer sereinement l’avenir de certaines liaisons ferroviaires régionales quand en face, l’Etat et les élus locaux dans de nombreux cas (nous n’en avons cité quel quelques-uns) soutiennent des opérations de mise à 2 x 2 voies du réseau routier.
N’y aurait-il pas moyen aussi à considérer le ferroviaire comme le principal moyen de réduction de la dépendance aux énergies fossiles, et à l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 que s’est défini la France ? Ne faut-il pas aller plus loin et imaginer, à l’échelle européenne, que ces investissements puissent être mis hors du périmètre de calcul du fameux ratio des 3% « maastrichtien » ?
A défaut d’une telle rupture, derrière les discours, les choix budgétaires de la France en matière de transports en général, et de la situtation du ferroviaire en particulier, continueront à court terme de contribuer au refroidissement des relations avec les collectivités locales… et, à une échéance à peine plus longue, à accélérer le réchauffement climatique !